La Conscience du bien

Dans l’étude du kyudo comme en toutes choses, ce qui est préparé d’avance est promis au succès et ce qui ne l’est pas est condamné. Il en est ainsi des paroles pour ne pas trébucher, des actions pour ne point peiner et de la conduite pour ne pas souffrir. Ainsi, si la voie à suivre est déterminée d’avance, on ne s’épuise pas. C’est pour cela que celui qui veut pratiquer la voie de l’arc doit donner assentiment et confiance en acceptant les lois qui déterminent le passage qui conduit à l’étroit chemin, si difficile à trouver et si facile à perdre. De la rigueur portée sur la compréhension et l’observance de ces lois, on accède à ce que l’on appelle la « pleine conscience du Bien.

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Que la voie de l’arc soit la voie du Bien[1], voilà qui est chose assurée pour qui accède à la pleine conscience dont on parle. Cette accession ne se décrète pas, elle s’acquiert au fil du temps et se révèle inépuisable en profondeur. La condition fondamentale de cette progression implique de l’élève qu’il exerce sa capacité d’observer, d’écouter, de déduire et de se taire, car, comme le dit le vieux traité chinois « Le milieu invariable »[2], »l’homme de Bien est toujours vigilant à l’endroit de ce qui ne se voit pas et sur ses gardes à l’égard de ce qui ne s’entend pas ». Soutenant la vigilance, quelque chose de nouveau peut apparaître, ce qui de la réalité était obstinément voilée vient alors s’offrir avec évidence.

L’éveil à la pleine conscience du Bien dépend de la manière dont on se déplace dans l’espace et dans la relation aux autres et aussi bien dans le champ des règles qui les codifient et qui se nomment dans le Kyudo le Reï; « l’étiquette ». L’observance de l’étiquette révèle l’esprit de la pratique, l’esprit de la pratique révèle l’observance des règles. C’est ainsi que les pensées du kyudojln doivent être accordées à ses actes, car il sait déjà que rien n’est plus apparent que ce qui se dérobe à lui et en lui, à son insu. Il n’y a pour cela que de se voir tirer. Ce qu’il recherche désormais, sans encore vraiment le savoir, mais le sachant toujours un peu plus, c’est la centralité de ses actions et ses pensées en même temps qu’il apprend à enraciner et à construire la verticalité qui deviendra le pilier du tir à venir. Quelque chose d’une régulation apparaît, rien d’extraordinaire que de la choisir, beaucoup plus difficile est de s’y tenir, elle ne peut apparaître et se renforcer que dans la durée.
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Au fil du temps, le kyudojin prend conscience de son exigence, avec surprise il s’aperçoit progressivement qu’en toute situation elle s’avère requise, plus tard, cette régulation devra prendre son extension et son régime, sans interruption. L’effort n’est pas ponctuel (et donc voyant), il est constant (et donc discret). Contrairement à l’évidence, la voie de l’arc ne se laisse pas apercevoir aisément. Rigueur, persévérance et vigilance sont de mises pour qu’elle se révèle. Que les actes soient conformes aux idées et apparaît ce que l’on appelle la sincérité, l’authenticité.

La claire conscience du Bien implique donc l’engagement authentique de l’archer. Cette authenticité intérieure est la clé qui ouvre la voie. C’est elle qui finalement réalise cette centralité sans effort, et qui permet de l’obtenir sans même y penser. S’engager dans la voie du Bien c’est s’y tenir avec fermeté, l’étudier dans son ampleur, y penser avec attention, discerner avec clarté et enfin mettre en pratique. Que peut vouloir dire ce terme si important dans l’étude et la pratique du Kyudo ? Dire de quelqu’un qu’il est authentique est dire qu’il maintient en lui l’intégrité de sa nature foncière et dans le Kyudo, c’est le tir qui la reflète. Celle-ci ne se laisse ni affaiblir ni diminuer, elle résiste à la falsification, elle se conforme à toute situation sans se laisser dévier, elle n’est jamais double, elle est à la fois pure et intégrale. Dès lors que l’archer parvient à s’approcher de cette position qui signe l’authenticité et qui consiste à réaliser la coincidence des pensées et des actes, il ne tarde pas à constater que quelque chose advient, s’accomplit et transforme son tir. Marquons ce temps en observant que les notions de « nature » et de « fonction » s’avèrent ici profondément nouées, on y reconnaît une des caractéristiques de la philosophie confucéenne.

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Tel est ce lien qui lie l’archer à chaque flèche et à sa suivante. Ce que l’on ne peut faire en une fois demandera cent fois, mille fois pour y parvenir. Aussi peu doué que l’on soit on progressera en accumulant progressivement l’expérience. L’idée de persévérance et d’effort apparaît ici et exerce une forte contention qui sollicite chez l’archer patience et constance, voire acharnement.