Ōsōji

Samedi 17 décembre, c’est la dernière séance de l’année. C’est le temps de faire un bilan de l’année écoulée mais surtout de se lancer dans un grand nettoyage, ōsōji. Tout doit être propre afin d’aborder la nouvelle année sereinement.

Mais avant de s’affairer dans la bonne humeur, les vingt-neuf participants à la séance ont le plaisir d’assister à un Yawatashi réalisé par Marc-Antoine (Ite) assisté de Jean-François (Dai Ichi Kaizoe) et François (Dai Ni Kaizoe).

Belle introduction avant d’entamer un taikai festif mais tout de même rigoureux puisque l’ordre de passage sera tiré au sort et les cibles touchées dûment comptées. A la dixième flèche dans la mato, l’archer gagne un cadeau. Lors de cette affrontement amical, les plus sérieux se concentrent sur leurs tirs tandis que les autres se taquinent, applaudissent pour chaque atari. Ce samedi, rires et Yoshi ! emplissent le gymnase de Courcelles. C’est la fin d’année, bonne humeur et optimiste sont de mises.

La dernière photo de l’année est à destination de notre dojo partenaire à Yokohama, Asahiku Kyudo Kai, pour leur souhaiter une bonne année.

Lors du salut qui ponctue cette année de travail, Naeko tel un Père Noël remet des cadeaux à nos trois gagnants du taikai festif (Arnaud, Jean-Benoit, Yveline) et offre à chacun des pratiquants, les présents que nous ont réservés l’Asahiku Kyudo Kai de Yokohama. Le temps d’avoir une pensée amicale pour eux afin de les remercier de leur gentillesse.

Le salut de fin de séance qui est aussi aujourd’hui celui de fin d’année, donne le signal de l’ōsōji. Les placards sont vidés, nettoyés, les objets inutiles qui se sont accumulés au cours de l’année sont jetés, les matos sont refaites etc… Après une trépidante activité d’une quarantaine de minutes, nous sommes prêts pour cette nouvelle année qui sera soyons en sûr riche en émotions et amitiés. Bonne année !

Kyudo et Kyogen

kyogen1L’AKE a eu l’extrême honneur et la chance formidable de recevoir le samedi 6 mai le maître de kyogen OGASAWARA Tadashi lors de son passage à Paris pour une leçon un peu particulière : les liens entre kyudo et kyogen.

Le kyogen est un art théâtral qui puise ses racines dans le Japon médiéval. Pratiqué depuis 650 ans, il est considéré comme un des arts les plus anciens ce qui lui a valu son classement par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité en 2001. Cet art quasi millénaire n’en est pourtant pas une pratique gelée car il sait être novateur. Si à l’époque Edo, les artistes puisent dans un répertoire unique de trois cents pièces, à l’ère Meji, le répertoire se renouvelle et on voit la création de pièces plus modernes. Aujourd’hui les ponts sont maintenant nombreux entre théâtre occidental et japonais ; le plus évident étant une collaboration avec la Comedia d’ell arte.

Basé sur des scénettes d’une quinzaine de minutes, le kyogen est un intermède comique lors des représentations du théâtre No. Le comédien armé d’un seul éventail mélange mime et texte pour interpréter des situations. L’éventail est tout à la fois ; tenu ouvert à l’horizontal il devient Tokkuri, le récipient à saké, et ensuite le verre tenu à deux mains par l’amateur du breuvage. Mais cet éventail peut se faire aussi sabre ou arc ; tout est possible seul compte la créativité de l’acteur et l’imaginaire du spectateur.

Cet échange riche entre Monsieur Ogasawara et les pratiquants de l’AKE ont permis d’entrevoir quatre liens entre kyudo et kyogen :

L’objectif poursuivi. Ces deux arts ancestraux tendent vers un absolu où archer et comédien cherchent la perfection dans le geste, travail d’une vie.

La maturité. En kyogen, un comédien âgé de vingt ans existe à peine. A 40, 50 ans, il n’est qu’un « morveux ». Le maître d’OGASAWARA Tadashi est âgé de 86 ans, NOMURA Man. Ce brave homme que nous voyons comme un acteur accompli, considère qu’il a encore beaucoup à apprendre. De même les maîtres de kyudo pensent que ce n’est qu’à partir de l’âge de 75 ans que le tir arrive à maturité.

Le mouvement. Le corps est vertical, le poids légèrement en avant avec un centre de gravité bas et toujours central même pendant les déplacements. Le menton est rentré afin de tirer la colonne vertébrale vers le haut. On tire ainsi le corps dans toutes les directions. Geste et déplacement sont parfaitement maîtrisés.

La respiration. La respiration est profonde. On inspire par la nez en fermant la bouche. Si on inspire par la bouche, les épaules ont tendance à monter. On expire par la bouche. En posant les mains sur le ventre, on peut constater le travail de ce dernier.

kyogen2

Délaissé par le public japonais, le kyogen renferme pourtant une partie de l’âme japonaise entre burlesque, imaginaire et tradition. OGASAWARA Tadashi se montre ainsi une source d’inspiration par son travail et le cheminement intellectuel qui l’accompagne pour tout pratiquant de kyudo.

APPRENTISSAGE ET IMITATION

Apprentissage et imitation

Arnaud Vojinovic et membre d’AKE, nous livre une réflexion personnelle sur une possible explication par la neurobiologie et les sciences cognitives du fonctionnement de ce que nous appelons en Kyudo « Mitori geiko », soit l’apprentissage par le regard. Notons que les « neurones miroirs » sont également mentionnés régulièrement par Charles-Louis Oriou sensei dans son enseignement. Même s’il n’est pas souhaitable de chercher à intégralement expliquer scientifiquement le Kyudo, ces ponts entre une pratique millénaire et des découvertes récentes apportent un éclairage à même d’éveiller la curiosité et le désir de recherche de certains pratiquants.

Le Kyudo est le tir à l’arc cérémoniel japonais. Son apprentissage demande de longues années d’étude et au delà de la maîtrise d’une simple technique, il devient rapidement un travail introspectif sur soi même.

L’étude

En Asie, l’archerie s’est vite intéressée à l’apprentissage, à la notion de savoir et de transmission.
Ainsi il est toujours surprenant de découvrir que dans la Chine antique, par homologie, tir à l’arc et étude ont été associés. En effet à l’origine, le caractère xue, 学 (學), désigne la salle où l’on pratique le tir à l’arc et par extension le tir à l’arc. Ensuite, comme le tir à l’arc est la matrice formelle par essence de toutes pratiques rituelles, le terme (学) prendra le sens d’apprentissage.
Ce parallèle, entre étude et tir, marquera fortement l’enseignement du tir à l’arc à travers les âges. Le petit fils de Confucius, Tse-se, va même à comparer l’archer et le sage : « L’archer présente un point de ressemblance avec le sage : quand la flèche rate la cible, il en cherche la cause en lui-même ».

 Le Kyudo

En Kyudo, l’archer consacre sa vie à l’étude des principes du tir. Au delà des vertus dont le Kyudo se veut être porteur, le dojo est une salle d’étude à part entière et il devient donc intéressant de voir quelle pédagogie est utilisée pour l’apprentissage.
On considère qu’il y a trois manières d’apprendre le Kyudo :
par le regard, (on passe beaucoup de temps à regarder tirer les autres),
par la correction du maître,
par l’entraînement (autrement dit la pratique).
Si la pédagogie de la correction et de l’entrainement sont évidentes. Une transmission par le regard est déjà un concept plus difficile à aborder.

Neurones miroirs

Pourtant en 1996 une équipe italienne sous la direction de Giacomo Rizzolati a fait une découverte étonnante. Ils ont remarqué par hasard au cours de leurs observations sur des macaques, que certains neurones (qu’ils ont appelés miroirs) s’activaient si un singe faisait un mouvement pour saisir un objet (il doit y avoir un but). Mais le plus étonnant ces que ce même type de neurones est aussi actif si le singe observe un autre singe le faire ou même si l’expérimentateur montre au macaque quel est l’exercice à faire.
L’équipe en a déduit qu’il existait un lien direct entre action et observation.
Par la suite une équipe canadienne a mis en lumière ce mécanisme chez l’homme. Ce système neuronal serait plus développé chez l’homme adulte que chez tous les primates.

L’imitation

L’imitation a toujours été un mode d’apprentissage pour l’homme que cela soit au niveau du langage ou d’une transmission culturelle par exemple.
Ce qui est aujourd’hui étonnant c’est que cette simple observation soit confirmer par la neurobiologie. Elle vient surtout transcender l’idée d’imitation telle que nous la connaissions pour lui ouvrir des perspectives pédagogiques beaucoup plus larges.
Les sciences humaines qui toléraient l’imitation dans des stades liés à l’enfance lui donnaient une connotation péjorative ou une influence mineure pour un adulte.
Maintenant on considère que l’imitation est l’élément fondamental de l’être humain, de l’être social qu’il représente.

Sciences humaines et sciences cognitives

Pourtant il reste encore des ponts à dresser entre ses différentes disciplines afin que les observations de l’une puissent alimenter le travail de recherche de l’autre.
Mais déjà aujourd’hui, pour en revenir plus simplement au Kyudo, rien ne nous interdit de mener une réflexion sur la notion d’imitation en tant que processus cognitif et de l’intégrer systématiquement dans une démarche d’apprentissage.

A.V. Décembre 2013.